Georges Arsenault:
Les Acadiens de l'Île: 1720-1980.
Moncton: Les éditions d'Acadie, 1987.
(extraits)

Le premier établissement français en Amérique est fondé dans l'île Sainte-Croix en 1604. Environ 80 hommes font partie de cette expédition menée par les sieurs Pierre du Gua de Monts, Samuel de Champlain et Jean de Poutrincourt. Le premier hiver s'avère catastrophique pour la petite colonie. Près de la moitié des hommes périssent de froid ou de scorbut. Au printemps de 1605, les survivants s'établissent dans un lieu plus favorable sur la terre ferme. Il s'agit de Port-Royal qui deviendra la capitale de l'Acadie.

Les marins pêcheurs, provenant de tous les grands pays maritimes de l'Europe, fréquentaient les eaux de cette partie de l'Amérique bien avant l'arrivée des premiers colons. Ils venaient tous les ans pêcher la morue, activité fort profitable à leurs pays respectifs. Ces Européens sont entrés en relations et ont entrepris la traite des fourrures avec les Amérindiens. On se rappellera le grand voyage de Jacques Cartier en 1534. Des typonymes sur les cartes d'aujourd'hui témoignent de la présence des Basques, des Portugais et des Espagnols, présence attestée dans le golfe Saint-Laurent à partir du milieu du XVe siècle.

En raison de ses intérêts commerciaux, la France consacre ses premiers établissements en Amérique surtout à la traite des fourrures et à la pêche. Leur développement est néanmoins difficile non seulement à cause des problèmes financiers, mais aussi parce que le territoire est convoité par l'Angleterre. En conséquence, ces postes sont attaqués et détruits à plusieurs reprises par des troupes anglaises en provenance de la Nouvelle-Angleterre. (13-15)

Avec la progression du peuplement, la colonie acadienne s'étend sur la rive de la Baie Français (voir première carte) jusqu'au fond des baies Cobequid et Chignecto. Le premier recensement de 1671 dénombre environ 400 habitants, tandis qu'il y en aura environ 1800 selon les estimations de 1707.


Les colons français venus s'établir dans cette partie de l'Amérique forment bientôt un peuple clairement identifié. Population essentiellement agraire, sa vie communautaire est très intense. La construction et l'entretien des digues et des aboiteaux exigent en effet un grand esprit de coopération entre les habitants. Beaucoup d'entre eux sont non seulement originaires des mêmes régions de France (voir deuxième carte), mais ils sont également unis par des liens de parenté. Les mariages contractés en Acadie viennent encore renforcer l'homogénéité de cette population.

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D'autres facteurs contribuent à promouvoir un esprit d'identité et d'indépendence chez les Acadiens. Implantés sur un territoire stratégique qui constitue un État tampon entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre, les Acadiens seront souvent victimes des conflits entre la France et l'Angleterre. En effet, l'Acadie change de mains neuf fois entre 1604 et 1710 et subit une dizaine d'attaques des troupes anglaises. Ne jouissant pas de la stabilité politique qui caractérise la Nouvelle-France, les Acadiens doivent apprendre de bonne heure à compter sur leurs seules ressources. Ils se tiennent donc à l'écart de ces différends. Leur tactique consiste à s'entendre le mieux possible avec les autorités en place afin de s'assurer une certaine sécurité. Mais d'un autre côté, les Acadiens se montrent indépendants puisqu'ils n'hésitent pas, même sous juridiction française, à commercer avec les colonies voisines de la Nouvelle-Angleterre. La survie et l'épanouissement économique de l'Acadie dépendent du développement de ce commerce maritime.

En 1710, des troupes de la Nouvelle-Angleterre s'emparent de la capitale acadienne, Port-Royal. Trois ans plus tard, aux termes du traité d'Utrecht conclu à l'issue de la guerre de succession d'Espagne, la France cède à l'Angleterre la baie d'Hudson, l'Acadie et Terre-Neuve. Le traité stipule que les Acadiens ont un an pour quitter la colonie qui s'appellera désormais la Nouvelle-Écosse; ils sont cependant autorisés à y demeurer à condition de devenir sujets britanniques. L'Angleterre leur assure le droit de pratiquer leur religion catholique «dans la mesure que les lois de la Grande-Bretagne le permettent.»

Les Acadiens n'ont aucune intention de quitter les terres où ils se trouvent si bien. En raison de l'instabilité politique chronique qui règne depuis un siècle, rien n'indique cependant que cette période de paix doive être plus durable que les précédentes. Quant au serment d'allégeance à la Couronne anglaise, ils refusent de le prêter selon la formule imposée. Les Acadiens se disent toutefois prêts à devenir sujets britanniques à condition de ne pas être tenus de prendre les armes contre la France dans une guerre éventuelle. De plus, ils veulent être assurés que leur foi catholique sera respectée.

(...) Quelques années plus tard, en 1755, le gouverneur Charles Lawrence décide une fois pour toutes d'imposer aux Acadiens le serment d'allégeance sans réserve. Il manifeste son intention de les déporter de leurs terres s'ils le refusent. Les Acadiens essaient vainement de lui faire changer d'idée. À l'automne de 1755, les troupe de Lawrence, aidées de celles du gouverneur Shirley du Massachusetts, exécutent l'ordre de déportation. Elles expatrient environ 6 000 des quelque 10 000 habitants acadiens vers les colonies de la Nouvelle-Angleterre.

Ainsi se termine le premier chapitre de l'histoire des Acadiens qui colonisent la terre ferme. L'isolement de la colonie par rapport à la Nouvelle-France, l'instabilité politique due, en partie, à sa position stratégique, l'origine commune des colons, l'adaptation au milieu, tous ces facteurs contribuent à la formation d'un peuple distinct. (15-18)

Le quart de siècle qui suit la Déportation voit de nombreux déplacements pour ces Acadiens en exil. En plus de leurs diverses pérégrinations en France même, où plusieurs familles finissent par se fixer définitivement, beaucoup d'Acadiens retraversent l'océan à la recherche du pays perdu. Certains retournent obstinément en Acadie, d'autres font voile vers les Antilles et même vers les lointaines îles Malouines (Falklands). Plusieurs de ces tentatives de recolonisation échouent. Ces Acadiens errants reviennent en France d'où ils repartent en assez grand nombre pour la Louisiane au cours des années 1780. (34)

Les années 1970 marquent un regain extraordinaire de vie au sein de la communauté acadienne de l'Île-du-Prince-Édouard. Néanmoins le processus d'anglicisation et d'assimilation culturelle, amorcé voilà plus d'un siècle, continue à se poursuivre. Plus de 50 pour cent des Acadiens insulaires sont aujourd'hui unilingues anglais. Plusieurs communautés acadiennes sont presque totalement anglophones. La langue anglaise s'infiltre dans de plus en plus de foyers--même dans la région Évangéline, la région acadienne la plus homogène et où la vitalité de la tradition française est la plus forte.

Comme dans le passé, le maintien de la vie française à l'Île-du-Prince-Édouard s'annonce difficile. Cependant, beaucoup de gens demeurent optimistes et conservent toujours la volonté de vivre en Acadiens français dans leur île, leur coin du pays. Il ne s'agit pas toutefois pour eux de vouloir vivre en marge de la société, mais au contraire de contribuer à la province et au pays dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leur langue. (254)

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